Choisir ses semences de légumes : hybrides ou populations ?

« Skywalker » « Hannibal » « Rougette joviale » « Cassiopée » ou « Monstrueux de Carentan » les noms des variétés de légumes sont drôles, loufoques, surprenants et parfois poétiques. Mais derrière ces noms se trouve parfois le sigle F1 signifiant qu’il s’agit d’une variété hybride.

C’est un échange sur Instagram qui m’inspire cet article. En mai 2020, je publiai une photo des très jolies courgettes « Cassiopée » et leur robe constellée de petits points blancs. La variété Cassiopée est une variété hybride F1. Vous pouvez lire ici le débat qui s’ensuivit en commentaire de la photo en question

Alors qu’est-ce qu’une variété hybride ? Et une variété population ? Qu’implique le choix qu’un maraîcher fait entre les deux ? Je décortique ici quelques notions et partage avec vous les impacts de nos choix en la matière sur notre quotidien de notre ferme.

Les variétés hybrides F1

Les variétés hybrides sont issues d’un croisement de deux végétaux parents, sélectionnés pour leurs qualités en terme de résistance aux maladies, de rusticité, de rendement. En faisant se reproduire ces deux parents, on cherche à obtenir une variété comportant toutes les qualités repérées chez chacun des deux parents. Autrement dit, on reproduit en accéléré ce que fait la nature, pour trouver plus rapidement la perle rare. Ces variétés ne peuvent pas être reproduites car elles ne donnent pas de descendance intéressante à leur tour. Impossible donc de produire sa propre semence paysanne à partir d’une variété hybride.

Le sigle F1 quant à lui, signifie que l’hybridation est de première génération. Autrement dit que les parents de l’hybride F1 ne sont pas des hybrides… vous me suivez ?

Les variétés populations

Les variétés populations, également appelées couramment et un peu à tort « variétés anciennes » sont des variétés stables qui regroupent des végétaux aux caractères semblables, sans qu’ils soient parfaitement identiques. Par exemple, si vous regardez un parterre de pâquerettes, vous pourrez observer que toutes les pâquerettes auront globalement la même forme, les mêmes feuilles, approximativement le même nombre de pétales et à peu près la même couleur. Mais on observera tout de même des pâquerettes plus roses ou plus petites que les autres ! Chez les humains, c’est le même principe : tous les humains font partie de la même espèce, bien que parmi nous, certains soient plus grands, plus maigres, aux yeux bleus, marrons ou verts etc

le champ gallo tomates coeur de boeuf
Tomates « cœur de bœuf » variété population issue de semence paysanne. Photo : Anne-Gaëlle Scatton

En maraîchage, quel choix faire entre les variétés de semences hybrides et populations ?

À l’automne, nous choisissons les variétés que nous cultiverons au cours de l’année à venir. Parmi les variétés proposées dans les catalogues des semenciers, on va rechercher pour chaque légume (chaque espèce) des variétés proposant des caractéristiques telles que la précocité, la couleur, la forme, la rusticité. Généralement, les variétés hybrides proposent plus particulièrement des qualités de résistances aux maladies et de rendement. Certains maraîchers ne jureront que par les variétés populations, d’autres auront un usage exclusif des semences hybrides. Beaucoup, comme c’est notre cas, font le choix d’un mélange des deux.

Avantages et inconvénients des hybrides et des populations

Pour cette question comme pour beaucoup d’autres, les avantages de l’un sont les inconvénients de l’autre.

Les populations ont en général un avantage en terme gustatif. On peut le voir très nettement sur les tomates. Entre une variété hybride comme la Cindel F1, que l’on appelle communément tomate ronde et que l’on consommera plutôt cuite et une variété population comme la cœur de bœuf, l’andine cornue, la green zébra et tant d’autres… la différence de goût est radicale.

Par contre pour le même travail, on récoltera deux à trois fois plus de Cindel F1 que de populations. Les secondes étant moins productives, plus fragiles et sensibles aux maladies. Nous vendrons donc les populations presque deux fois plus cher… ce qui ne rend pas ces légumes de qualité accessibles à tous les porte-feuilles.

D’un autre coté, le prix de la semence hybride est beaucoup plus élevé que celui de la semence population et nous serons obligés chaque année de la racheter.

On voit aussi que des variétés hybrides sont plus faciles à récolter que les populations. La tige des tomates se casse facilement lorsque l’on récolte les Cindel par exemple. Et nous nous griffons beaucoup moins en récoltant des courgettes Cassiopée F1 que des courgettes populations.

Ah oui ! et puis bien que cette question soit à des années lumières de nos préoccupations, il faut quand-même l’évoquer : les hybrides offrent la possibilité d’un calibrage des légumes. Qualité très recherchée dans l’industrie agroalimentaire.

Alors, verdict ? Où se situe l’équilibre parfait ?

Comme pour tout, il n’y a pas de recette miracle, de solution toute faite. Il s’agit d’un équilibre, que chacun devra trouver et qui ne sera pas celui du voisin. Sécurité ou autonomie ? Goût ou conditions de travail ? Au final, c’est surtout une affaire d’éthique, de réponse à des besoins et d’affinité avec tel ou tel aspect du métier.

A la ferme du champ gallo, nous avons trouvé notre équilibre autour de quatre espèces de variété population pour une hybride. Ratio qui nous permet de ne pas risquer de rater totalement un légume et de pouvoir proposer ces légumes à un prix accessible tout en générant un revenu décent. Nous avons également fait le choix de reproduire nous-même quelques-unes des variétés (population, donc) que nous cultivons.

Les variétés hybrides, un moyen de réduire le gâchis ?

Imaginons. Si l’on ne produisait que des hybrides, nos légumes seraient plus productifs, moins malades et l’on récolterait plus de légumes commercialisables, se conservant souvent mieux. On y perdrait en qualité gustative mais il y aurait de fait, moins de légumes à partir au compost… Mais la question de la réduction des déchets est bien plus complexe que ça. En réalité en posant cette question ci-dessus, je me fais l’avocat du diable. Pour l’exemple des tomates, les qualités gustatives des variétés populations sont trop importantes et plébiscitées par les consommateurs pour que l’on s’en passe. Et pour une grande partie, les fruits abîmés partent à l’ESAT du Bois Jumel à Carentoir pour être transformés en une délicieuse sauce tomate dont on se régalera l’hiver suivant. Quant aux fruits vraiment trop malades, ils partent effectivement au compost… mais est-ce que voir un végétal partir au compost c’est vraiment du gâchis ? Si ce compost vient plus tard nourriture la terre et de nouveaux légumes, est-ce que c’est perdu pour tout le monde ? Je vous laisse avec cette belle question philosophique 🙂

Pour aller plus loin

Chaque année Agrobio Bretagne publie le « Guide variétal de semences de légumes bio » Réalisé par les techniciens du réseau FRAB grand ouest, on y retrouve un catalogue de semences testées sur la région ainsi que des conseils pour sélectionner ses variétés.

Une courte vidéo présentant des maraîchers, membres de l’association Koal Kozh, produisant leurs propres semences paysannes.